On a tous et toutes connu une épiphanie passagère où quitter Facebook, Twitter et Instagram semblait être la clé de tous nos problèmes. Gonflé·e à bloc par cette révélation, on avait alors supprimé les applications de son smartphone, on s’était découvert une passion pour le crochet et on avait rabâché les oreilles de ses proches avec les bienfaits de la digital detox. Mais quelques semaines plus tard, on était déjà en train de scroller, défaitiste, sur son fil d’actualité.
Si l’expérience fait rarement long feu, certain·es irréductibles s’y tiennent et désertent volontiers les réseaux sociaux traditionnels pour rejoindre des alternatives plus saines où se réunir autour d’intérêts communs prend le pas sur la course effrénée, épuisante et parfois virulente aux likes et aux retweets.
Ras-le-bol
Pour protéger leurs données, suivre une désintoxication numérique ponctuelle, par désamour pour les plateformes mainstream ou pour soigner une lancinante FOMO (fear of missing out, la peur de louper le train de l’actualité), de plus en plus d’internautes quittent le navire des réseaux sociaux traditionnels. En France, une baisse de 0,2% du nombre de personnes qui utilisent Facebook (9,3% chez les 12-17 ans) a même été estimée pour l’année 2019.
Et quand elles ne font pas leurs adieux aux réseaux, elles s’y connectent beaucoup moins qu’avant. «Les utilisateurs de Facebook passent moins de temps sur la plateforme sociale, ce qui entraîne une réduction du temps global passé sur les médias sociaux aux États-Unis», explique eMarketer, qui révèle que le temps passé sur les réseaux sociaux avait déjà diminué l’année précédente.
Instagram, vitrine de vies fantasmées et de selfies retouchés, peut être un véritable défi pour la confiance en soi et la santé mentale; Facebook a été déserté par les plus jeunes; Twitter fatigue avec ses débats constants et son bombardement d’actualités. Rien d’étonnant, donc, si ces fameuses plateformes, encore toutefois majoritairement utilisées, sont de plus en plus boudées.À lire aussiMenacés, les réseaux sociaux se penchent sur notre santé mentale
Quand il s’est rendu compte qu’il passait trop de temps à naviguer d’application en application sans but précis, Victor a pris la décision d’en supprimer quelques-unes et de nettement diminuer l’usage des survivantes. «J’en avais marre de perdre mon temps à regarder la vie des autres», complète-t-il.
Si la désintoxication numérique reste une tendance à la marge, elle séduit les personnes à la recherche d’une déconnexion temporaire ou plus pérenne. À tel point que les livres, articles de presse et retraites promouvant le jeûne numérique et promettant un retour salvateur à la vraie vie fleurissent. Sans aller jusqu’au bannissement de toutes formes de communautés numériques, certain·es préfèrent trouver chaussures à leurs pieds sur des plateformes alternatives.
Des alternatives plus humaines
Supprimer sa présence en ligne n’est pas la seule solution qui s’offre aux réfractaires des réseaux sociaux mainstream. La forte croissance d’applications tierces montre que leur attention s’est en partie redirigée vers des solutions jugées plus saines.
Des plateformes comme Nextdoor, Meetup, Strava ou Goodreads ont été créées afin de réunir les internautes autour d’intérêts communs. Au lieu de favoriser un lien virtuel entre des personnes qui se connaissent plus ou moins bien, le but de ces applications est de provoquer des rencontres et des échanges entre parfait·es inconnu·es partageant les mêmes centres d’intérêt. Ce qui fédère n’est plus la viralité des contenus partagés mais les passions communes.À lire aussiPourquoi tant d’ados ont installé Yubo?
Strava, probablement l’une des applications les plus connues par les sportifs et sportives puisqu’elle compte plus de 42 millions d’adeptes, permet d’enregistrer ses performances, de les partager et de les comparer avec celles d’autres membres. Les amateurs et amatrices de littérature se donnent rendez-vous sur Goodreads, un club de lecture virtuel qui réunit près de 90 millions de gens.
«Je me connecte parfois sans but réel, simplement pour passer le temps et tromper l’ennui», confie Julie, qui avoue parfois chercher l’approbation des autres sur la toile et s’en veut de ne pas dédier son temps à des activités «plus constructives». Sur Meetup, les quelque 20 millions d’inscrit·es en mal de distraction peuvent rejoindre différents groupes d’activités qui ont lieu à proximité, comme des cours de cuisine ou de langues.
Sortir des écrans et se retrouver IRL
Paradoxalement, ces applications mobiles semblent pousser leurs utilisateurs et utilisatrices à passer moins de temps devant l’écran. Strava les encourage à se dépenser, Nextdoor et Allovoisins à se sociabiliser avec le voisinage, Meetup à explorer leurs passions en rejoignant des groupes dédiés, ou encore Goodreads à partager leur amour pour la lecture entre bibliophiles.
Ces plateformes, qui se sont développées en même temps que la plupart des grands médias sociaux, affirment inviter leurs membres à vivre des expériences et des rencontres hors ligne, dans la vie physique.
«On utilise la technologie mais toujours au service de l’humain: le virtuel est au service du réel, on favorise le vrai contact. La vocation première, ce n’est pas de vous garder derrière un écran mais de reconnecter les voisins entre eux et dynamiser la vie du quartier, ce qu’on ne peut pas faire sur écran», confiait Karim Bassiri, dirigeant de Nextdoor en France, à korii. il y a quelques mois. Le pari semble être plutôt réussi puisque sept fois sur dix, les échanges effectués sur l’application «aboutissent dans la vraie vie».À lire aussiNextdoor, l’appli qui veut vous connecter à vos voisins
L’engouement soudain pour ces réseaux sociaux alternatifs traduit une recherche de lien social, perdu de vue par les plateformes grand public, voire même altéré par ceux-ci. Au-delà de la recherche de proximité, ce type de plateforme fait naître d’autres initiatives collectives et ludiques. L’emballement pour l’application Strava est tel qu’elle a donné lieu à des détournements créatifs par la communauté, le «Strava Art», des dessins réalisés à partir des données GPS récoltées par l’application.
Trop beaux pour être vrais?
Recourir aux technologies pour contrer leurs supposés dégâts sur le lien social peut paraître bancal. D’ailleurs, si les médias sociaux alternatifs se targuent de créer une proximité plus authentique que leurs semblables grand public, ils sont loin d’échapper à tous leurs travers. Les likes ne sont pas identifiés comme tels mais recouvrent la même fonction. L’addiction, les dérives et la recherche d’approbation peuvent toujours entacher l’expérience.
Strava n’hésite pas à reprendre certains codes bien connus des réseaux sociaux traditionnels. Comme sur Twitter, les sportifs et sportives s’abonnent à des comptes pour s’informer des performances des autres membres et peuvent, à la manière des likes de Facebook, leur attribuer des Kudos pour les féliciter.À lire aussiPourquoi on devient accro aux données des applis sportives
Des fonctionnalités qui tendent à encourager la compétitivité et la comparaison, deux points noirs montrés du doigt sur les réseaux sociaux mainstream et qui ne sont pas sans danger. Pour preuve, la recherche de performance peut mettre des sportifs et sportives en péril. En 2012, un cycliste possédant l’application a trouvé la mort sur la route alors qu’il tentait de battre un record.
Nextdoor n’est pas non plus irréprochable. Si le but premier de l’application est bel et bien de dynamiser la vie de quartier d’un voisinage, la rubrique «sécurité», qui permet aux membres de signaler d’éventuels dangers ou comportements suspects, n’a pas tardé à prendre un tournant délateur et raciste. Aux États-Unis, certaines personnes n’hésitent pas à utiliser la plateforme pour dénoncer arbitrairement des passant·es noir·es.