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Le télétravail arrive pour de bon

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Confinement oblige, presque la moitié des Québécois se sont vus forcés d’apprendre les rudiments de la vidéoconférence et d’autres technologies essentielles au télétravail. Et ils y ont pris goût. La prochaine révolution du travail se fera en pantoufles.

Lorsque le premier ministre François Legault a encouragé les Québécois à travailler de la maison afin de freiner la propagation du coronavirus, le 13 mars dernier, la direction d’Hydro-Québec a envoyé une note interne à tous ses gestionnaires, dans laquelle on pouvait lire que « le télétravail est maintenant le mot d’ordre ».

Plus facile à dire qu’à faire. À l’image de bien des entreprises, la société d’État offrait déjà à ses employés la possibilité de travailler à distance, mais uniquement selon les besoins et à la discrétion des chefs d’équipe. En réalité, peu de travailleurs en bénéficiaient.

Le système informatique n’était pas adapté au débarquement en règle d’un grand nombre d’utilisateurs à distance, explique Louis-Olivier Batty, porte-parole d’Hydro-Québec. « On a déployé des ressources en vitesse pour augmenter notre capacité. Au début, on demandait aux employés de se connecter au réseau interne seulement lorsque c’était nécessaire et de se déconnecter ensuite pour laisser de la place aux autres. »

Moins d’une semaine plus tard, plus de la moitié des 19 400 employés d’Hydro-Québec, soit 10 500 personnes, étaient connectés sur le réseau interne du géant de l’électricité ! Un tour de force, considérant que des milliers d’employés ne peuvent de toute façon travailler à distance, comme les monteurs de lignes, les installateurs de compteurs, les opérateurs de centrale, etc. « Tous ceux qui peuvent travailler de la maison le font », estimait Louis-Olivier Batty en avril.

La mise à niveau de l’infrastructure informatique et la réorganisation du travail à distance pourraient avoir des répercussions à long terme sur la manière dont opèrent différentes grandes sociétés qui ont dû expérimenter la décentralisation de leurs activités pendant la pandémie, comme Hydro-Québec. « En quelques semaines, on a basculé 10 ans en avant », soutient la nouvelle PDG, Sophie Brochu.

Le télétravail est dans l’air du temps depuis des années. Pour certains Québécois, c’est une façon d’éviter une circulation automobile devenue infernale en ville. Pour d’autres, c’est une occasion de faciliter la routine quelques jours par semaine, en ralentissant la course folle entre le retour du bureau, la préparation des repas, la supervision des devoirs et le bain des enfants… Pour d’autres encore, l’attrait découle d’une volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Or, ces bonnes raisons, souvent évoquées, n’ont dans les faits pas débouché sur une augmentation importante du télétravail ces dernières années au pays. Selon les données de l’Enquête sociale générale de 2016 de Statistique Canada, à peine 12,7 % de la main-d’œuvre faisait au moins une heure de télétravail par semaine. Environ 2,8 % des travailleurs s’y adonnaient plus de 15 heures par semaine. Des chiffres comparables à ceux des États-Unis (3,1 %).

Un sondage Léger mené à la fin avril révélait que 50 % des Canadiens étaient en télétravail, notamment à cause du confinement. Si bien des employés ont hâte de réintégrer le bureau pour revoir leurs collègues et ressouder l’esprit d’équipe — après tout, l’humain est un être grégaire —, d’autres retourneront sans joie à leur ancienne vie d’auto-boulot-dodo cinq jours par semaine, ayant goûté à la souplesse de l’horaire pendant l’épidémie. En effet, selon le même sondage, 79 % des personnes en télétravail disaient aimer l’expérience.

« Une crise, c’est un important moment de changement. C’est une belle occasion à ne pas laisser passer pour les organisations. On ne doit pas retourner à nos habitudes », affirme Caroline Coulombe, professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et chercheuse à l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires.

La récente période de télétravail forcé aura peut-être fait tomber certains préjugés tenaces, comme celui voulant que les employés à la maison quelques jours par semaine soient moins productifs. Dans le cadre d’un sondage mené en 2018 par le moteur de recherche d’emploi Indeed auprès de 500 employés et de 500 employeurs dans divers secteurs, la grande majorité des employés (90 %) soutenaient qu’ils étaient aussi productifs, sinon plus, en travaillant de la maison. Et leurs patrons étaient d’accord. Même que 65 % disaient que le télétravail rendait les employés plus productifs.

Chez TELUS, où depuis 2006 près de 70 % des employés sont en mode télétravail une bonne partie de la semaine, la décision d’envoyer tout le monde à la maison dès le début de l’épidémie a été facile à prendre. « Les processus et la technologie étaient déjà en place pour que les tâches de nos équipes puissent être effectuées à l’extérieur de leur bureau », explique la porte-parole Jacinthe Beaulieu. Le géant des télécommunications estime avoir économisé 50 millions de dollars en location de locaux pour bureaux de 2006 à 2016 grâce au télétravail.

Le travail à domicile est toutefois réparti inégalement dans la société, et cela risque peu de changer, puisque certains métiers s’y prêtent difficilement. Au Québec, selon une étude du CEFRIO, un organisme de recherche et d’innovation sans but lucratif, 38 % des télétravailleurs salariés sont des cadres ou des gestionnaires, loin devant les employés de bureau (16 %) et les techniciens (8 %).

Si les grandes sociétés comme Hydro-Québec et TELUS ont les moyens de s’adapter à un brusque changement dans l’organisation du travail, souvent coûteux, il en va autrement pour la vaste majorité des PME, qui n’étaient pas préparées à une décentralisation de leurs activités.

Selon une étude de la Banque de développement du Canada (BDC) menée en 2018 auprès de 2 000 entrepreneurs, 57 % des petites et moyennes entreprises avaient un faible niveau de maturité numérique, une condition pourtant essentielle au télétravail : il faut adapter le réseau interne, s’assurer d’un haut niveau de sécurité contre les cyberattaques, équiper adéquatement les employés chez eux et les former à bien utiliser la technologie, comme le partage de documents ou les vidéoconférences.

« C’est une transformation qui se planifie », explique Caroline Coulombe, de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. « Ça ne prend pas juste du leadership dans une entreprise, ça prend du leadership gouvernemental. Si on veut favoriser le télétravail, ça doit devenir un vrai projet de société. »

Par exemple, les PME devraient être encouragées à investir dans l’équipement informatique nécessaire au télétravail grâce à des crédits d’impôt, suggère Caroline Coulombe. « Ça prend des ressources importantes pour adapter son entreprise et la plupart des dirigeants auront besoin d’aide. » Une idée intéressante, surtout si une deuxième ou une troisième vague de transmission de coronavirus force le gouvernement à ralentir de nouveau l’activité économique et à renvoyer les Québécois à la maison.

Les gouvernements et les municipalités pourraient également montrer l’exemple avec leurs propres employés, estime Caroline Coulombe, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent. À la Ville de Montréal, la possibilité d’exercer son métier de la maison a été ajoutée à la convention collective des professionnels il y a à peine un an, mais tout n’était pas en place lorsque l’épidémie a frappé. Même chose aux gouvernements du Québec et du Canada. Seulement 8 % des fonctionnaires fédéraux disaient avoir accès au travail à la maison en 2019, selon les chiffres du Secrétariat du Conseil du Trésor. Dix ans plus tôt, c’était… 6 %.

Le gouvernement du Québec a fait un geste pour encourager l’expansion du télétravail alors que l’économie de la province était « sur pause ». Le 6 avril, Québec a débloqué 100 millions de dollars pour que les entreprises puissent offrir des formations à distance à leurs employés. « Il faut profiter de la situation pour se perfectionner, être meilleurs quand ça va redémarrer », a dit le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet.

Jusqu’au 30 septembre, le Programme actions concertées pour le maintien en emploi permet aux entreprises de recevoir une subvention pouvant atteindre 250 000 dollars afin de couvrir leurs frais de formation. Le gouvernement remboursera aussi jusqu’à 100 % des heures totales rémunérées du personnel en formation, pour un salaire maximal de 25 dollars l’heure.

Les formations doivent viser l’amélioration des compétences numériques, la communication organisationnelle, les langues, le télétravail, le marketing, le commerce en ligne ou le développement des affaires.

« C’est une occasion sur laquelle le Québec peut construire », affirme Charles Milliard, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec. « On peut profiter de cette période pour augmenter la compétence des employés et s’attaquer au déficit de productivité du Québec. » Et réorganiser un peu le marché du travail de manière durable, qui sait ?

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